La belle masquée

Le bal masqué de Venise me fascine depuis longtemps et j’ai toujours rêvé d’y aller un jour et de vivre cette expérience étrange : vivre mes fantasmes en toute liberté et caché de tous. S’octroyer une parenthèse puis reprendre le cours de sa vie. À mes heures perdues, j’adore l’histoire et je lis énormément, chose devenue rare, surtout dans notre partie du monde.

Eh bien, je n’ai pas eu besoin de faire le voyage, il est venu à moi grâce au Covid et à l’obligation du port du masque imposé par notre gouvernement, à Hong Kong. Entre autres choses bien sûr, car la créativité a été de rigueur pendant cette période troublée.

Et comme un héros de roman, j’ai vécu moi aussi une étonnante histoire d’amour.

Laissez-moi donc vous raconter mon histoire. Je m’appelle Chi Mo, mais au bureau tout le monde m’appelle James. Je travaille pour une société française, je suis acheteur. J’ai la chance de ne pas avoir un boulot trop prenant et somme toute plutôt bien payé. Je suis marié depuis plus de dix ans avec Yuk Mei et nous avons un petit garçon, MingZe, surnommé Tommy depuis qu’il est rentré dans une école internationale. Il fait notre fierté.

Tout allait donc pour le mieux jusqu’à ce que le Covid arrive et chamboule l’ordre qui régnait dans ma vie. Alors que je ne me posais aucune question sur ma femme ou sur ma relation, tout a soudainement été remis en cause. Finies les certitudes.

A l’arrivée du Covid sur Hong Kong, YukMei et moi n’étions pas plus inquiets que cela. Nous étions déjà passés par le SARS en 2003 et rien de bien méchant ne nous était arrivé. Par ailleurs, nos parents étant décédés depuis plusieurs années, nous n’avions plus rien à craindre de ce côté-là.

Peu à peu, le gouvernement a multiplié les décisions de prévention de la transmission du Covid, dont le masque obligatoire. Au début, nous arrivions à en rire et notre souci principal était de convaincre Tommy, alors âgé de six ans, de le porter pour aller à l’école. Nous avions dû le soudoyer avec des promesses diverses et variées que nous avions fini par tenir : le port du masque perdurait.

Peu à peu, j’ai vu le comportement de YukMei changer : elle écoutait les informations avec avidité et suivait avec effroi les courbes de progression du maudit virus. La peur gagnait, le port du masque était son seul rempart. De mon côté, rationnel et plutôt fataliste, je me disais que les choses n’étaient pas si graves. Beaucoup plus de personnes meurent chaque année de cancers ou de maladies cardiovasculaires. Etant encore jeune, au pire, cela me rendrait malade quelques jours. Ni Tommy ni YukMei n’avaient de raison de développer de complications. J’étais donc plutôt serein et j’évitais d’écouter les informations.

Au retour de ma journée de travail, la seule chose dont ma femme souhaitait me parler était le Covid. Au début, je la laissais faire en me disant que c’était sa façon à elle d’évacuer et de prendre du recul. Je mangeais mes nouilles et mes raviolis en silence.

J’écoutais des podcasts sur YouTube expliquant que les femmes avaient besoin de verbaliser leurs sentiments : ce déluge de paroles sur le même sujet tombait naturellement dans cette catégorie. Je prenais donc mon mal en patience et gardais pour moi mes commentaires ainsi que mon désir de partage de ce qui s’était passé pendant ma journée. Il n’y en avait plus que pour le Covid.

A cette époque, j’ai commencé à remarquer une femme dans le métro. Elle était sublime. Mince, toujours élégante, des yeux magnifiques. Ce qui m’avait attiré le regard la première fois était le fait qu’elle lisait. Un livre, oui ! Elle aussi aimait la lecture, comme moi !

Elle regardait à peine son téléphone et pendant la demi-heure de trajet entre Tung Chung et Central semblait complètement absorbée par sa lecture. Cela me donnait l’opportunité de l’observer sans être vu. Dans ma rêverie, je lui ai même donné un nom : MeiLi. Cela veut dire beauté, ce qui me semblait tout à fait approprié. Entendons-nous bien : je ne suis pas du genre à tromper ma femme. J’ai bien assez à faire entre elle, notre fils et ses devoirs et mon travail pour penser à batifoler ailleurs. En plus, ma femme surveille de près nos finances et avoir une maitresse coute de l’argent. Aucune envie de dilapider notre pactole avec une autre femme !

Cependant, alors que le masque était pour ma femme une façon de se protéger, Meili était graduellement devenue la mienne face à l’ambiance déprimante de mon foyer. Plusieurs fois j’avais essayé de raisonner YukMei, mais rien à faire.

Et puis un jour je suis rentré avec un bon mal de tête et le nez bouché. J’ai toujours été sensible à toutes sortes d’allergies ; rien de bien alarmant. Mais ma femme fut prise de panique dès qu’elle m’entendit me moucher. Elle tenait à ce que je m’isole dans une chambre d’hôtel immédiatement pour ne pas les mettre en danger.

À bout de nerfs, j’avais décidé à contrecœur de réserver une chambre pour arrêter les cris et les pleurs. Évidemment nous n’étions pas les seuls à vivre ce genre de mini drame domestique et le prix des chambres avait flambé suivant la loi inexorable de l’offre et de la demande.

-           Écoute mon chéri, on va oublier la chambre d’hôtel, c’est ridicule de payer autant pour quelques nuits ! déclara ma femme.

-           Mais c’est toi qui voulais…

-           Oui, oui, je sais, mais c’est vraiment trop cher ! A la place, je préfère m’acheter ce joli sac à main que j’ai repéré depuis quelques semaines.

-           Je suis d’accord, ce serait un gâchis et tout ça pour une simple allergie.

-           Ah oui ? Tu es médecin peut-être maintenant ? Monsieur, je sais tout. En plus, je suis sûre que tu n’as pas toujours porté ton masque correctement.

-           Mais pas du tout !

-           Oh ! Je te connais. Tu n’en as rien à faire que nous tombions malades.

-           Arrête, tu dis n’importe quoi

-           En attendant, nous allons faire chambre à part. Tu prends la chambre de Tommy qui dormira avec moi.

-           Si ça peut te faire plaisir…

-           Plaisir ? Mais il ne s’agit pas de ça. Ouvre les yeux. Nous pourrions mourir si nous l’attrapions aussi. D’ailleurs nous allons tous porter un double masque à la maison, c’est plus sûr.

-           Mais pourquoi ? Ça ne marche pas les masques, toutes les études le démontrent.

-           Espèce de complotiste ! Et puis c’est ma maison, mes règles, je décide. Je dois protéger notre famille.

-           Tu ne rates pas une occasion de me rappeler que nous avons pu acheter cette maison grâce à l’argent de tes parents.

-           C’est un fait pourtant, que cela te plaise ou non. Mais ce n’est pas le sujet. Nous mettrons tous un double masque sinon tu pars dormir ailleurs… du moment que ça ne nous coute pas trop cher.

-           Même pour dormir ?

-           Oui, surtout pour dormir. Et puis il fait un peu froid en ce moment donc ça nous réchauffera le nez, plus besoin de mettre notre chauffage d’appoint. Parfait ce double masque.

Il était devenu impossible de parler avec elle. Même après avoir fait et refait des tests tous plus négatifs les uns que les autres, même après que les antihistaminiques avaient contenu les symptômes, elle restait persuadée que j’avais le covid. Elle continuait à me traiter en pestiféré.

À peine passé le pas de la porte, elle se précipitait sur moi. Elle s’assurait que j’enlevais tous mes vêtements. Elle se dépêchait de les mettre au lave-linge avec une bonne dose de Dettol. Elle me regardait me laver les mains à grand renfort de gel hydroalcoolique. Elle avait déposé des petites bouteilles de gel un peu partout dans la maison et s’assurait que nous l’utilisions régulièrement. J’avais eu beau lui dire que l’eau et le savon étaient tout aussi efficaces, rien à faire. Je me pliais donc de mauvaise grâce à cette nouvelle tyrannie domestique dont je ne l’aurais jamais cru capable.

Alors qu’être chez moi et passer des soirées en famille avait toujours été un plaisir à la fin d’une journée de travail, cela devint brutalement la pire partie de mon existence.

Je ne retrouvais une certaine douceur que le matin devant ma beauté, bien qu’elle fût souvent plus absorbée par son livre que par moi. Pour rien au monde je ne l’aurais ratée. J’arrivais toujours en avance. Je scrutais avec anxiété l’escalator. Je montais dans la rame en même temps qu’elle et notre voyage vers Central pouvait commencer.

Elle s’installait avec son livre et si elle ne trouvait pas de place assise, elle restait debout près de la porte de sortie, appuyée sur la paroi en verre qui la séparait des passagers assis. Je m’arrangeais alors pour m’asseoir ou me tenir debout en face d’elle. Parfois j’arrivais même à m’asseoir juste à côté d’elle et je me laissais enivrer par les effluves de son parfum vanillé. J’alternais donc les plaisirs même s’ils venaient toujours avec une frustration : pouvoir l’observer tout mon saoul ou être à côté d’elle sans la voir, mais sentir sa présence.

Elle avait une très belle collection de masques de toutes les couleurs qu’elle accordait en fonction de ses vêtements. Mon préféré était marron clair car il faisait ressortir ses yeux noirs. Quelle classe Meili ! J’avais décidé, comme elle, de varier les plaisirs. Plusieurs fois, nous nous sommes trouvés avec un masque de même couleur et avons échangé un regard de complicité. Je devinais qu’elle me souriait. J’étais aux anges, elle m’avait remarqué et nous avions un début de communication silencieuse.

Je n’avais pas vraiment envie de plus si je suis complètement honnête. Je dégustais ce début de relation très doux et très spécial. Tout se passait à merveille. Je lui parlais dans ma tête, elle me répondait toujours les choses que j’avais envie d’entendre. Notre amour, oui, j’ai bien envie d’utiliser ce mot même s’il pourra vous paraitre un peu fort, n’était pas terni par le quotidien. Pas de paroles mal comprises. Pas de réveil avec une haleine fétide. Pas de débat sur le choix du programme télé. Tout était parfait entre nous. Elle était là pour moi, et moi pour elle.

Un jour je décidais de la connaitre un peu plus. Alors je prenais note du roman qu’elle lisait et je me précipitais sur Amazon pour le commander. J’attendais avec impatience sa livraison et n’avais qu’une seule peur : que quelqu’un à la maison attrape le covid et que le livreur ne puisse plus venir me l’apporter. Il n’en fut rien et après quelques jours, j’étais moi aussi plongé dans ce beau roman d’amour. Elle avait remarqué à n’en pas douter mon livre, car j’avais vu une lueur d’amusement dans ses yeux. Une belle connivence avait suivi. Je ne pouvais croire que Meili ait choisi par hasard ce livre, juste quelques jours après notre première rencontre. J’y lisais avec délice une histoire d’amour presque aussi parfaite que celle que nous commencions et j’y voyais un présage plus que favorable pour notre futur à tous les deux.

Parfois, la nuit, je me réveillais angoissé avec plein de questions sans réponse. Est-ce que je lui plaisais autant qu’elle me plaisait ? Était-elle mariée ? Avait-elle déjà un enfant ? Serait-elle prête à sauter le pas avec moi en temps voulu ? Quel âge pouvait-elle avoir ? Je n’ai jamais été très fort à cet exercice. C’est le domaine d’expertise de YukMei et je me voyais mal lui demander son avis. Par ailleurs, elle ne voyageait jamais avec moi. Sa société était passée en télétravail à 100 % dès le début du covid et en avait profité pour ne pas renouveler le contrat de bail de leurs bureaux. Une belle opportunité pour faire des économies et un autre sujet de dispute entre nous.

-           Ta société te fait prendre trop de risques. Demande-leur de rester travailler à la maison, me répétait-elle inlassablement.

-           Ma société comprend qu’il est important de se voir pour bien travailler ensemble.

-           C’est irresponsable, vous attraperez tous le covid et alors qui fera fonctionner la boite ?

-           Ta société veut juste faire des économies, rien à voir avec votre santé. Que tu peux être naïve !

Cela était devenu la ritournelle à laquelle j’avais droit presque tous les jours et en particulier les jours où le nombre de cas de Covid montrait un pic. Je tenais bon. Même si la plupart de mes collègues faisaient en réalité du télétravail à hauteur de 50 %, je cachais cette information avec soin, n’ayant aucune intention de rester toute une journée à ses côtés. Il advint même que notre bureau ferme pendant quelques semaines pour suivre les recommandations gouvernementales. Je dus trouver une solution de repli : un petit café sympa qui restait ouvert malgré la tempête Covid. Je m’y installais avec grand plaisir pour travailler et papoter avec le gérant qui avouait s’ennuyer ferme vu le peu de clients.

 

Au bout de quelques semaines, alors que je n’avais plus aucun symptôme depuis belle lurette et que ni Tommy ni ma femme n’étaient tombés malades, il redevint enfin possible de vivre sans masque dans notre appartement. Cela avait tout de même un peu chagriné YukMei qui aurait bien continué à le porter, au cas où, mais avait deviné que cela aurait engendré une tension supplémentaire peu souhaitable vu l’état de notre relation. Seul le rituel des vêtements et du gel restait en place.

Un jour où j’étais particulièrement de mauvaise humeur à cause d’une journée de travail compliquée, je me rebellais contre les idées farfelues de ma femme.

-           YukMei, je crois que nous avons un problème.

-           De quoi parles-tu ? Tu es malade ? Quelqu’un autour de toi a le Covid ?

-           Mais non. Je parle de tes stocks de papier toilette. N’importe quoi !

-           Oh, je vois. Tu n’as pas dû écouter les infos, ils parlent de pénurie. J’étais ravie de pouvoir encore en trouver.

-           Mais tu as vu le nombre de rouleaux ? Nous ne sommes que trois et notre appartement n’est pas si grand.

-           Écoute, laisse-moi gérer la maison comme je l’ai toujours fait. Tu n’as jamais eu à t’en plaindre.

-           Jusqu’à aujourd’hui… MeiLi ne me parlerait jamais comme ça, elle.

-           Tu t’es bien lavé les mains ?

-           Tu m’énerves. Je sors. J’en ai marre.

-           N’oublie pas ton masque mon chéri.

Et sans mot dire j’étais parti en claquant la porte pour aller faire un tour. Puisque les bars étaient fermés, il ne me restait plus qu’à aller marcher dans un parc après avoir acheté une bière dans un Seven Eleven. Quelle époque ! Même plus possible d’aller cuver sa colère au comptoir d’un bar.

 

Bien que le masque ne fût théoriquement plus de rigueur à la maison, bien que j’aie eu l’autorisation de réintégrer le lit conjugal, il n’en restait pas moins que nos ébats, déjà peu fréquents après dix ans de mariage, étaient devenus inexistants. D’après YukMei, cela augmentait le niveau de risque de contamination et donc n’en valait pas la peine. Dormir à mes côtés était déjà à ses yeux une énorme concession. Je devais bien évidemment passer à la douche et me désinfecter les mains avec la petite fiole de gel hydroalcoolique laissée à mon intention sur la table de chevet avant d’accéder à notre lit. Si elle avait pu, elle m’aurait enduit de gel de la tête aux pieds.

Évidemment je culpabilisais un peu de cet état de fait. J’essayais d’être objectif et de ne pas tomber dans le piège facile de tout lui reprocher. Quelle était ma part de responsabilité dans tout cela ? Si j’avais été un amant irrésistible, YukMei aurait-elle réfléchi à deux fois avant de mettre un terme à tout contact physique ? Cette question me trottait inlassablement dans la tête. Était un mauvais coup ? Ou bien la peur panique de tomber malade et de mourir était-elle plus forte que l’anticipation du plaisir à venir ? J’avais toujours eu l’impression de lui procurer du plaisir lorsque nous faisons l’amour, mais était-ce bien le cas ? Ou faisait-elle semblant ? Et si oui, comment le savoir ? Tellement de questions sans réponse dans ma vie. J’aurais pu le lui demander, mais avais-je vraiment envie de savoir ? À supposer qu’elle me dise la vérité, je n’avais rien à y gagner. Parfois il vaut mieux ne pas savoir. Comme disent les Anglais « ignorance is bliss ».

À mesure que je m’éloignais de ma femme, MeiLi occupait une place de plus en plus importante Plus je me sentais abandonné et ignoré à la maison, plus MeiLi me regardait, me comprenait et m’acceptait sans restriction. C’était magique.

Je n’osais toujours pas lui parler, craignant les réactions en chaine que cela ne manquerait pas d’entrainer. Je gardais MeiLi au chaud rien que pour moi en conservant ma vie, certes peu agréable en ce moment, mais à laquelle je commençais à m’habituer malgré tout. J’avais trouvé une forme d’équilibre. Je rêvais à la vie que nous aurions bientôt tous les deux. Elle était douce et heureuse d’être aimée de moi et moi seul. MeiLi prendrait toujours soin de moi. MeiLi partagerait la plupart de mes opinions sans être pour autant servile. En cas de désaccord, les discussions seraient toujours simples et respectueuses. Nous supporterions ensemble les bizarreries de cette époque Covid. MeiLi devenait ce que ma femme avait été pour moi et n’était plus depuis déjà longtemps. Le Covid avait juste mis en lumière le passage du temps et ses dégâts sur mon mariage.

Et puis le jour tant attendu arriva enfin : le gouvernement de Hong Kong nous autorisait à sortir et à vivre sans muselière. Ils avaient sans doute trouvé que le peuple avait prouvé sa capacité à obéir sans restriction : on pouvait donc relâcher un peu la bride. Du jour au lendemain plus besoin de sortir masqué, plus besoin de trembler à l’idée d’avoir oublié une fois de plus son masque à la maison, plus besoin de devoir braver l’autorité policière à chaque fois que le besoin d’air frais non filtré se ferait ressentir. C’était à peine croyable !

Évidemment j’avais une autre raison d’en être heureux : j’allais enfin voir le visage de Meili.

Ce matin-là, je me préparais avec soin. Je vérifiais plusieurs fois que mon rasage était irréprochable — ce qui avait parfois laissé à désirer à l’abri sous le masque — que mes dents étaient brossées avec soin et aussi blanches que possible, que mes cheveux étaient en ordre de bataille. Je volais même un peu de soin visage à ma femme. Je me parfumais. Je restais indécis devant mon armoire. Quelle chemise porter ? Quel pantalon choisir ? Lesquels lui plairaient le plus ? J’essayais de respirer lentement, mais impossible de faire partir cette boule au ventre. J’allais voir le visage de mon amour, elle allait voir le mien. Cela me remplissait autant d’angoisse que de joie.

Ma déception fut grande, car les premiers jours, Meili conserva son masque. Elle voulait tester ma patience, faire durer encore un peu notre jeu, allez savoir ? Mais quoiqu’elle ait décidé pour nous, elle avait mon soutien. Et puis peut-être était-elle intimidée ? Où voulait-elle tout à loisir pouvoir m’observer maintenant que mon visage était à découvert ? Et qu’en pensait-elle ? Me trouvait-elle séduisant ? À son gout ?

Des questions et toujours plus de questions.

Et puis le 25 mars 2023 arriva. Je la repérais de loin, mais elle me tournait le dos sur le quai. J’étais arrivé en retard à cause d’une énième dispute avec YukMei qui pensait qu’il était imprudent d’enlever mon masque dans les transports. J’avais dû courir et avais même failli rater les dernières marches de l’escalator. Je n’allais tout de même pas m’étaler et me casser une jambe si près du but ! Je marchais rapidement pour me trouver près d’elle et une intuition bizarre me fit dire que le jour était arrivé de faire tomber les masques. Mon exaltation était à son comble quand soudain elle se retourna et me regarda avec un large sourire puis en baissant très vite les yeux. Je m’arrêtais net. Mon souffle était coupé, mes jambes flageolaient, j’avais l’impression que la terre allait s’ouvrir sous mes pieds et ma vie s’arrêter net. Je réussis à grand peine à me trainer jusqu’au banc le plus proche et laissais avec soulagement le train partir avec MeiLi. Un homme d’un certain âge, que je connaissais de vue, s’approcha de moi pour me demander si j’avais besoin d’aide, s’il voulait que j’appelle le personnel de la station en renfort. Je lui répondis que non, que tout allait bien, que j’avais dû manger quelque chose qui ne passait pas et que j’avais juste besoin de rester assis quelques minutes, que ça allait passer. Il s’en alla visiblement satisfait d’avoir fait une bonne action.

Une journée qui commençait bien pour lui mais tournait au cauchemar pour moi.

MeiLi avait des dents qui partaient dans toutes les directions sauf la bonne, rendant son sourire pénible à voir. Non contente de cet état de fait, la nature lui avait ajouté un double menton, signant ainsi la fin de mes rêves d’une vie meilleure.

 

FIN

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