Sur un coup de tête (FR)

1 – Souvenirs

Les vacances de Denis en famille en France touchent à leur fin. Le retour à Shanghai est prévu pour le lendemain.

Denis se promène avec sa femme dans leur ville natale de Lille. Il est 14 heures, il fait raisonnablement chaud pour la saison, le ciel est bleu, chose qu’ils n’ont de cesse d’admirer, puisqu’ils vivent constamment dans la pollution. Ils sont toujours étonnés de voir à quel point un ciel bleu paraît banal pour les gens qui habitent ici, à commencer par leurs familles.

Denis observe du coin de l’œil sa femme : elle porte un pantalon slim en coton blanc et une chemise bleu clair, sans manche, laissant voir ses bras joliment musclés. Elle est allée chez le coiffeur récemment même si Denis ne pourrait dire précisément quand, car sa coupe au carré est encore impeccable. Elle se retourne vers lui, ayant sans doute senti son regard sur elle, et lui sourit, visiblement heureuse de ce moment en sa compagnie. « Elle est belle dans cette tenue estivale », pense Denis, presque étonné qu’après 30 ans de mariage il puisse encore la regarder de cette façon.

  • A quoi penses-tu mon chéri ? demande Anne.

  • A rien en particulier, ment-il sans raison précise.

  • Je sais que tu penses à ton boulot, tu devrais vraiment essayer de te détendre.

  • Oui, oui...

« Et toi bien sûr, tu sais mieux que moi à quoi je pense, comme d’habitude », se dit-il avec une légère irritation.

  • Tu sais bien que ton équipe est solide et particulièrement Sophie, sur laquelle tu peux te reposer. Je suis sûre que tout sera parfaitement géré et en ordre quand tu rentreras.

Denis ne répond pas. Il se contente de hocher la tête. Sa femme a raison : il a eu de la chance de trouver cette perle rare. Cependant, elle lui fait de l’ombre et même s’il sait que leurs compétences sont complémentaires et leur permettent d’avancer et de faire prospérer le business, il aimerait parfois qu’elle soit plus souvent d’accord avec ses nouvelles idées, qui ne cessent d’abonder. Il lui semble que la ligne hiérarchique est floue entre eux et les collaborateurs chinois le sentent, il en est sûr. Il aimerait qu’elle reste dans l’ombre et lui laisse au moins l’illusion du plein pouvoir. « Est-ce trop lui demander ? Après tout, elle me doit tout, je lui ai fait confiance et donné promotion après promotion », pense-t-il avec un énervement croissant.

Anne interrompt le cours de ses pensées.

  • On va faire quelques courses ensemble ? Comme d’habitude je vais faire un plein avant de rentrer a Shanghai.

- En fait, j’aimerais aller me promener un peu seul. Tu sais que les supermarchés et moi…

  • Oui, bien sûr, aucun problème. On se retrouve ici dans une heure et demi ? Cela me laisse le temps de faire tout le shopping nécessaire.

  • Parfait.

Il s’éloigne à pas rapides encore un peu étonné qu’elle n’insiste pas pour qu’il l’accompagne et passe plus de temps avec elle. Mais le sentiment confus de malaise qui l’habite depuis plusieurs semaines et qui ne lui ressemble guère, prend le dessus sur ses interrogations sur le comportement inhabituel de sa femme.

Il marche sans but précis, et sans s’en rendre compte, se retrouve devant le terrain de foot ou il s’est si souvent entrainé avec ses copains.

Le terrain n’a presque pas changé : seuls les immeubles qui l’entourent sont un peu plus nombreux. Les bois qui commencent sur le côté droit du terrain semblent plus fournis qu’il y a plus de 30 ans. Il est étonné quand il compte le nombre d’années qui le sépare de cette époque. C’est à la fois si proche et si loin.

Il se souvient d’un certain après-midi d’octobre ou il se dirigeait vers le terrain de foot ou ses amis l’attendaient.

- Salut Denis, lui crie Vincent dès qu’il l’aperçoit, active ! On est prêt à commencer un match.

  • Salut répond Denis qui a pressé le pas pour rejoindre ses amis, vous voulez vraiment jouer ? On ne pourrait pas faire autre chose pour changer ?

  • Quoi ??? Ne me dis pas que tu ne veux pas jouer. Je n’y crois pas !

  • J’en ai marre, on fait toujours la même chose.

  • Mais tu es habillé pour jouer. Tu es bizarre. Je n’y comprends rien.

Les autres garçons avaient suivi l’échange avec un étonnement grandissant. Il était évident qu’aucun n’aurait jamais songé à questionner leur activité préférée.

  • Si on faisait quelque chose de dangereux ? dit-il soudain tout excité.

  • Dangereux ??? Mais tu n’es vraiment pas bien !

Sans plus attendre, il leur avait tourné le dos et était parti, les laissant éberlués.

Il se rappelle qu’il avait marché en se demandant bien ce qu’il allait faire maintenant que son départ impulsif l’empêchait de revenir sur ses pas sans perdre la face devant ses amis. Sans trop s’en apercevoir, il avait suivi un homme qu’il ne voyait que de dos. Il ressemblait vaguement à l’inspecteur Colombo avec une vieille gabardine beige et un chapeau qui lui couvrait le visage, si bien que Denis, même en s’approchant à sa hauteur, ne distinguait pas bien les traits de son visage.

« Il doit avoir quelque chose à cacher ! » pensait Denis.

A côté de lui trottait un beau berger allemand qui n’avait pas de laisse et pourtant suivait de très près l’homme.

L’homme et Denis avaient marché longtemps et étaient arrivés dans des parties de Lille que Denis ne connaissait pas bien, si ce n’est par leur mauvaise réputation.

« Je suis très loin de la maison », pensa Denis avec un léger frisson de peur.

L’homme ne semblait pas avoir remarqué sa présence ; il avait pourtant accéléré le pas, peut-être parce que la nuit commençait à tomber.

Puis soudainement, il s‘était arrêté et s’était retourné. Denis s’était trouvé face à l’homme, interloqué, effrayé et incapable de bouger.

  • C’est quoi ton problème, le môme ? Je n’aime pas qu’on me suive, alors tu vas te casser tout de suite. C’est clair ?

  • Oui, oui, avait bafouillé Denis, n’ayant plus qu’une envie : prendre ses jambes à son cou et rentrer chez lui.

Ce qu’il avait fait sans trainer. En arrivant chez lui, il avait cependant eu l’impression d’avoir fait quelque chose d’héroïque et dangereux, d’avoir changé le cours normal des choses ; il pensait avec dédain à ses amis restés bêtement sur leur terrain de football.

Denis se remémore ce souvenir avec un doux sourire et une vague envie : il a aimé ce moment d’aventure, ce moment ou tout était possible, ou il y avait danger, il s’était senti vivant. Depuis combien de temps ne s’est-il pas senti vivant ?

Sa femme ne connait pas ce petit épisode de son enfance. « Peut-être me comprendrait-elle mieux ? Peut-être aussi aurait-elle peur de ce que je suis capable de faire sur un coup de tête ? » . Il sait bien qu’en vouloir à Anne n’est pas juste, mais il ne peut s’en empêcher. Il lui semble que sa femme devient de plus en plus épanouie alors qu’il est face à ce vague sentiment de malaise qui ne le lâche plus et l’empêche parfois de dormir et le rend agressif envers elle. Comment peut-elle être si heureuse alors qu’il se sent si mal ? Evidemment elle a une vie simple et facile : son univers se limite à lui, leurs enfants, ses amies et la maison et tout cela semble suffisant pour la combler au grand étonnement de Denis


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