Léo et les chats dans tous leurs états (FR)
Prologue
Après avoir fini son repas, Poivre se met à réfléchir et appelle Latte pour une réunion d’urgence. Ils se dirigent en toute hâte vers le jardin.
Notre humain a enfin trouvé une solution à son problème. J’en pouvais plus.
Oui c’est sûr mais il a fait fort sur ce coup-là. Qu’est ce qui va nous arriver ?
Ben rien, on va revivre tranquilles...parce que vraiment, j’ai perdu du poids !
Tranquilles, oui ! Tu as vu ce qui s’est passé tout à l’heure ?
Oui, et surtout ces derniers mois… Heureusement, c’est fini !
On en a bavé, vraiment !
Chapitre 1
Quelques mois plus tôt…
Sorti de sa concentration par le miaulement aigu de Poivre, Léo caresse son chat quelques minutes avant de se replonger dans sa tâche : créer un profil attractif sur ce nouveau site de rencontres, recommandé par son meilleur ami Paul. Ce dernier y a découvert celle qui est devenue, en quelques semaines, l’amour de sa vie, celle qui a éclipsé toutes les autres, effacé son passé, occupé ses pensées et son appartement.
Les amis de Paul, Léo y compris, avaient trouvé que tout cela allait trop vite mais Paul ne l’entendit pas de cette oreille et tout à son bonheur, refusa de voir les potentiels écueils de cette relation. Après tout, comme Léo, il avait cinquante-cinq ans et plus de temps à perdre.
Léo et Paul se sont rencontrés, il y a bientôt vingt ans, à l’université de Hong Kong, où ils sont tous les deux professeurs d’anglais. Même âge, même nationalité canadienne et un parcours de vie similaire : une première longue relation – avec un enfant pour Léo - et une séparation, suivie d’années de rencontres plus ou moins éphémères avec des femmes asiatiques, pour la plupart chinoises, et dont l’âge est la seule chose qui était restée stable – entre vingt-cinq et trente ans – malgré le passage des années. Léo avait cependant bien cru avoir trouvé celle qui mettrait fin à ses nombreuses tentatives infructueuses en la personne d’Apple. Elle était belle, elle était jeune, elle était amoureuse de lui et donc tout allait pour le mieux. Puis, elle lui avait annoncé du jour au lendemain qu’elle voulait se marier, ce contre quoi il n’avait pas d’objection, et avoir un, si ce n’était deux, enfants. Léo avait malgré tout gardé un minimum de bon sens. Recommencer à s’occuper de petits enfants et subvenir à leurs besoins pendant les vingt prochaines années ne le tentait plus guère à son âge. Cela remettait, en plus, aux calendes grecques la possibilité d’une retraite paisible. Il avait, déjà à cette époque, pris en grippe ses étudiants et réfléchissait à des moyens de s’échapper de sa carrière professionnelle au plus vite. Par ailleurs, Ryan, son fils de vingt-cinq ans, n’aurait sans doute pas trouvé drôle d’être le demi-frère d’un nouveau-né. Face au refus de Léo, Apple l’avait donc quitté sans préavis. Elle s’était mariée six mois plus tard avec un Australien plus jeune que Léo et qui n’était, semble-t-il, pas opposé aux projets de la belle. Elle était tombée enceinte trois mois plus tard de jumeaux, ce qui l’avait comblée pleinement. Une affaire rondement menée.
La sonnerie de la porte d’entrée sort Léo de ses pensées. Il se lève et se regarde dans la glace : malgré son âge, il a maintenu un corps plus ou moins musclé grâce à ses séances quotidiennes de natation et malgré ses séances hebdomadaires au pub avec ses amis ; évidemment ses cheveux, devenus rares, sont tout blancs et les rides sont apparues. Il se juge plutôt pas mal pour son âge. Il remonte son jeans et se maudit d’avoir une fois de plus oublié de mettre une ceinture. A sa décharge, Poivre ou Latte avaient dû jouer avec, car elle ne se trouvait plus, comme à son habitude, à trainer sur une chaise de sa chambre. Il enfile ses baskets blanches toutes usées avant d’aller ouvrir à son ami.
Paul, un peu essoufflé après la marche nécessaire pour arriver à la maison éloignée de tout moyen de transport de Léo, lance :
Salut ça va ?
Ça va. Tu tombes bien. Je cale sur mon profil. Tu m’aides ?
Pas de souci, juste besoin d’un verre d’eau. Tu habites vraiment au milieu de nulle part : ça m’a encore pris une heure et demie pour arriver chez toi.
Léo avait choisi de s’installer dans la campagne hongkongaise au fin fond de Yuen Long, dans les nouveaux territoires. Son salaire de professeur aurait sans doute rendu jaloux ses collègues en Europe. A Hong Kong, sans assurance santé, sans assurance chômage et avec une retraite à se construire, il ne lui permettait pas de vivre en pleine ville avec un nombre décent de mètres carrés. Il avait toujours eu besoin d’espace et aimait avoir un jardin pour les chats, ce qui était impossible à trouver en centre-ville à moins d’être un riche banquier. Il aimait aussi être loin de la ville, de son bruit incessant et de la pollution liée aux voitures. Celle liée à la Chine toute proche était plus compliquée à éviter : il fallait s’en remettre à la direction du vent.
Je sais mais avec les chats, c’était la seule solution.
C’est vrai, j’oubliais ceux-là. Et pourtant on ne peut pas les rater.
Six chats mais seulement deux vivent dans la maison. Ce n’est pas si mal. Tout va bien ?
Ce n’est pas une année facile, crois moi. Entre la mort de mon chien et de mon beau-père. Je n’arrive pas à oublier Bob. Même ses aboiements au milieu de la nuit me manquent.
Ça doit être difficile. Heureusement, tu as une femme formidable qui t’a beaucoup aidé à surmonter la mort de ton chien.
Oui, bien sûr mais ce n’est pas la même chose. Ne plus le savoir derrière la porte, prêt à me sauter dessus et à me montrer sa laisse pour aller se promener, ne plus l’avoir à mes pieds en regardant la télé ou en corrigeant les copies. Tellement de moments de tendre complicité partagés.
Poivre observe Paul avec dédain. « Comment un chien peut-il lui manquer ?». Puis, craignant que son serviteur préféré l’ait oublié, ou pire encore envisage d’avoir lui aussi un chien, il décide de tester une fois de plus son autorité sur Léo. Il se met à miauler tragiquement tout en se dirigeant vers la cuisine.
Excuse-moi. Il faut que j’aille nourrir Poivre. Je reviens tout de suite.
Poivre est assis en face de son assiette et regarde avec satisfaction son serviteur lui préparer son repas. Comme d’habitude, il s’est plié à ses désirs. Il en ronronne de satisfaction, ce qui encourage Léo à lui donner un peu plus de croquettes. Il se frotte contre sa jambe et le laisse même le prendre un court moment dans ses bras pour le remercier.
Léo retourne dans le salon et se sent prêt à attaquer le sujet du jour.
Il s’installe à côté de Paul sur le canapé, qui fut sans doute, à une époque, flamboyant. Aujourd’hui, il a des traces de griffures de toutes parts et une couleur difficile à définir tirant malgré tout sur le gris. Léo a toujours été incapable de montrer un semblant d’autorité. Il a donc décidé de ne prêter aucune attention à ses meubles, tout entiers destinés au bon plaisir des chats.
Passons aux choses sérieuses : mon profil.
Ok, tu as déjà commencé ?
Un peu. J’ai essayé de me décrire : pas facile. C’est clair, je ne sais pas me vendre. Oh j’ai aussi trouvé une photo passable.
Paul regarde brièvement le travail de son ami tout en buvant son verre d’eau.
Ça ira très bien.
Pas plus compliqué que ça ? Pas besoin d’être original ou drôle ?
Mais non, tu verras. Tu auras des tonnes de réponses. Tout comme moi. Le plus difficile est de choisir la femme que tu voudras rencontrer. Alors là, oui, il faut des techniques.
Comme quoi ?
Tout commence avec la photo. Demandes-en une en pied pour éviter les grosses. Evite celles avec enfants en bas âge : trop de galères en perspective. Le plus important est de savoir si elles ont, ou pas, déjà été mariées. Ça complique les choses d’avoir un divorce à gérer. Commence par leur écrire un peu pour être sûre qu’elles aient un niveau minimum d’anglais. Quoiqu’il y ait des bénéfices évidents à en prendre une qui ne puisse pas beaucoup parler. Ça limite les engueulades.
On dirait un programme de sélections pour rentrer à l’université.
Oui un peu en effet. D’ailleurs, je te conseille un fichier Excel avec les données de chacune. Tu verras, c’est très pratique. Ça t’évitera les erreurs, quoiqu’en général, elles ne sont pas très regardantes. Ensuite, tu peux avoir un système de points puis tu en sélectionnes deux. Limite les candidates si tu ne veux pas finir ruiné par les notes de restaurants. C’est dommage de ne pas pouvoir les inviter ensemble, ça faciliterait les comparaisons sur le vif.
Léo ajuste sa position pour laisser Poivre s’installer plus confortablement sur ses genoux, puis reprend le fil de la conversation :
Ça ne me serait même pas venu à l’idée : quand même !
Oui, je sais, il faut garder une petite touche de romantisme. Et puis qui sait, avec de la chance, l’une d’entre elle pourrait devenir la femme du reste de ta vie. Parfois c’est simple de combler la solitude.
Oui, peut-être.
Poivre émet un miaulement discret comme pour lui rappeler qu’il n’a besoin de rien d’autre pour être heureux. Cette discussion l’a un peu inquiété et a confirmé que décidément il n’aime pas ce Paul. Après avoir essayé de le tenter en vantant les mérites d’un chien, il essaye la même chose avec une femme ? Vraiment ? Il n’a aucune envie qu’une trouble- fête vienne s’installer et puisse distraire Léo de son activité principale : s’occuper de lui. Et de Latte. Et des autres copains qui vivent autour de la maison.
Tu penses encore à Apple, n’est-ce pas ?
On ne peut rien te cacher.
Au moins tu la sais heureuse et vous avez gardé contact, c’est déjà pas mal. Et puis franchement tu te vois avec deux bébés à la maison ? Sérieux ?
Aucun regret de ce côté-là. Mais elle était celle avec qui j’aurais aimé vieillir.
En tout cas, je suis fier de toi : c’était bien la première fois que je te voyais dire non à quelqu’un avec fermeté.
C’est vraiment ainsi que tu me vois ?
Léo caresse Latte qui a profité d’une pause litière de Poivre pour s’installer sur ses genoux au grand déplaisir de celui-ci qui part bouder sur la terrasse.
Allez mon vieux, tu sais bien que je t’aime malgré tous tes défauts.
Ça m’arrive de dire non. Parfois. Seulement à bon escient.
Oui, oui. Allez, on finit d’écrire ces quelques phrases, on met ton profil en ligne et on garde le meilleur pour la fin.
C’est-à-dire ?
Une bière et un cigare dans ton jardin, bien sûr.
READ THE REST ON AMAZON under Sandrine Woirnesson ASIN : B09FS55MR6